dossiers et débats

Totnes, berceau d’une révolution silencieuse

1 commentaire
fleuve Dart à Totnes - crédit Diana Semaska
Le fleuve Dart, qui traverse Totnes, est régulièrement en crue - crédit Diana Semaska

Dans le sud-ouest de l’Angleterre, la ville de Totnes abrite le tout premier mouvement citoyen de « ville en transition », né en 2006. Nous sommes allés voir où en est cette initiative aujourd’hui, qui est portée par plus de 200 personnes sur place et s’est diffusée dans le monde entier.

Welcome to Totnes, petite cité de 8 500 habitants, calée au creux des vallons du sud-ouest de l’Angleterre, les pieds dans l’eau du fleuve Dart. Soleil et pluie jouent aux chaises musicales plusieurs fois par jour. Le voyageur écolo un peu naïf s’attendait à trouver une sorte de paradis urbain jardiné, où les légumes pousseraient dans les rues, les voitures seraient interdites et les maisons à énergie positive, obligatoires. Que nenni. Totnes  ressemble à une ville comme les autres, avec son béton et ses automobiles. A première vue. Car depuis 2006 se joue ici même une petite révolution silencieuse: la  transition.  

Mais qu’est ce que la transition? Il s’agit d’une cure de désintoxication aux énergies fossiles, à commencer par le pétrole, dans le but de s’adapter au changement climatique en cours. L’idée vient d’un professeur britannique en permaculture, Rob Hopkins, qui détaille, dans son Manuel de transition, publié en 2010, comment notre vie quotidienne dépend totalement de ces énergies fossiles bon marché : transports, logement, vêtements, nourriture suremballée et venant de loin, cosmétiques, technologies… Il montre que nous sommes autant addicts au pétrole qu’un alcoolique l’est à son verre de pinard matinal. Or, non seulement le pétrole et ses amis sont de plus en plus rares et leurs produits dérivés seront donc, demain, de plus en plus chers. Mais en plus, leur extraction et leur consommation sont la première cause du changement climatique, lequel provoque déjà, pêle-mêle : augmentation du niveau des mers, acidification des océans, augmentation de la fréquence des tempêtes, inondations, sécheresses, fonte des glaciers, migrations des espèces, etc. Avec toutes les conséquences que cela entraîne sur les humains. Rob Hopkins en conclut que bon gré mal gré, il nous faut apprendre, d’une part, à nous passer des énergies fossiles et d’autre part, à résister au changement climatique –ce dernier point étant nommé résilience. C’est cet apprentissage qu’on appelle transition, et que Rob Hopkins a implanté à Totnes.

« Ma dépense devient ton revenu »
marchande de fruits, légumes et fleurs locaux sur le marché de TotnesQui dit transition dit relocalisation de l’économie. « Certains pensent qu’on ne se préoccupe plus du pic pétrolier, mais de l’économie locale à la place. Ce n’est pas vrai. En fait, c’est la même chose, sauf que parler d’économie locale est plus pragmatique, plus concret », explique Hal Gillmore, notre guide, impliqué dans le Transition Town Totnes (Totnes ville en transition, ou TTT) depuis 2007. « Notre groupe de transition s’est fait connaître par accident, à cause d’un blog… Nous n’avions pas du tout prévu la pression médiatique internationale, ni toutes les visites de gens voulant s’engager dans la transition, y compris de chercheurs ! Alors que nous sommes loin d’être parfaits. Certaines choses ont marché, d’autres non », précise Hal. Ce qui est sûr, c’est que nous autres Français n’avions jamais vu une telle concentration de magasins, stands sur des marchés et autres restaurants vantant des produits bio et/ou locaux, ailleurs qu’à Totnes.


« L’intérêt de faire local, c’est que les gens se sentent impliqués dans une dynamique. Cela crée un sentiment d’appartenance, d’identité, qui a été perdue avec la mondialisation », affirme Jay Tompt, consultant pour le Well & Good Project, cabinet de conseil en économie locale qui travaille avec le TTT. « Pourquoi soutenir un magasin local ? Parce qu’on garde de la richesse dans la communauté, et qu'on en crée aussi. Ma dépense devient ton revenu ».

Des fermes, des vélos et des bisousElliott, Charly et Belinda s'entraînent à présenter leur projet de maison éco-construite au forum des entrepreneurs locaux
L’incubateur d’entreprises Totnes Reconomy project (projet de ré-économie) a justement pour but de faire éclore cette nouvelle économie locale. On trouve à Totnes un espace de co-working dédié à tous ceux qui souhaitent lancer une petite entreprise. Une fois par an, les bénévoles impliqués dans le projet Reconomy organisent un forum des entrepreneurs locaux, une sorte de rendez-vous arrangé où les gens qui ont un projet le présentent devant une centaine d’autres personnes (porteuses aussi ou non d’un projet). « Nous sommes tous investisseurs potentiels puisque nous avons tous un enjeu dans l’économie locale. Durant ce forum, si un projet nous plaît, on peut bien sûr donner de l’argent, mais aussi offrir une garde d’enfants, un massage, un bisou, etc. », explique Jay Tompt. Exemple de projet réussi durant le forum de 2013 : School Farm CSA, un projet de ferme travaillant exclusivement avec des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), implantée à Dartington, tout près de Totnes. Grâce au forum des entrepreneurs, School Farm aurait, selon Jay, recueilli quelque 2 500 euros, 25 arbres fruitiers, 2,5 tonnes de paillis, un enclos, un passage à la radio et six massages. Une sorte de financement participatif, à l’instar des Kisskissbankbank et autres Ulule du web…mais version terrain et locale. Et le projet Reconomy, ce n’est qu’un des projets du TTT !


Près du Reconomy center, un petit square public nous accueille au milieu de bacs plantés de fruits et légumes, à disposition. « The lamb : gardening for health » (NDLR : « l’agneau : jardiner pour la santé »)  lit-on sur un petit panneau à l’entrée. C’est un jardin communautaire, initié par des bénévoles du TTT. « Certains médecins prescrivent à leurs patients de venir y jardiner. Alors qu’avant, c’était une friche sale, les gens venaient y boire et laissaient leurs bouteilles », explique Hal.  Mais les Incroyables comestibles sont loin de suffire au TTT. Depuis sept ans, les projets fourmillent et s'organisent. Les transitionneurs ont lancé aussi (liste non exhaustive!) Gardenshare (le principe : celui qui n’a pas de jardin mais veut jardiner va chez celui qui a un jardin mais ne jardine pas), Nut tree planting (plantation de vergers communautaires à disposition du public), Totnes pound (monnaie complémentaire locale, acceptée par 80 magasins), Atmos (projet de réhabilitation de vieux bâtiments industriels en espace pour entreprises locales, de boulangerie, brasserie, vente d'alimentation locale, espace de co-working, etc.), Dr Bike (réparation de vélo gratuit ou en échange d’un service, une part de tarte, un bisou, etc.), Seedy sisters (trocs de graines, ateliers compostage, banque de semences), Transition homes (projet d’éco-quartier), Transition streets (environ 60 groupes de voisins organisent aujourd'hui des sortes de réunions Tupperware pour élaborer et suivre, ensemble, un livre de bonnes pratiques pour économiser l’eJo Rotas est impliquée, avec ses voisines, dans le projet "rue en transition". Elles jardinent, covoiturent, s'encouragent, et ont créé un cinéma de quartier. Elles se rencontrent toutes les deux semaines depuis quatre ans. au, l’énergie, jardiner, etc.). Ouf !


Sur chaque projet, il doit y avoir au moins trois membres actifs, qui s’engagent à se réunir régulièrement et à échanger avec le bureau du TTT lors de réunions mensuelles. Des projets qui font eux-mêmes partie de groupes thématiques plus généraux : alimentation, logement, transport, énergie, économie, art, éducation, bien-être, loisirs. En gros, les besoins des êtres humains. Le but étant de « satisfaire ces besoins tout en gardant une planète vivante, besoin essentiel que beaucoup ont oublié », fait remarquer Inez Aponte, consultante au Well & Good Project.  
Au Reconomy center, avec Inez Aponte, consultante au Well & Good Project, nous tentons de définir quels sont nos besoins et nos facteurs de satisfaction.
Mouvement viral
En regardant mieux la ville, on constate que nombreuses sont les maisons à disposer de panneaux photovoltaïques. Ces panneaux, c’est le TTT qui les paie à la mairie pour qu’elle les installe. Ceci, grâce aux 800 000 euros touchés en 2010 en provenance du gouvernement et dédiés au plan d'action de descente énergétique du TTT, «sujet alors à la mode parmi les politiques», précise Hal avec un peu d'amertume.

TTT a aussi accouché de quelques petites entreprises, telles que Big Green Canoe. Créée en 2012, celle-ci s’est spécialisée dans des programmes d’éducation à la transition et à la résilience, destinés aux  écoles, lycées, entreprises, institutions et personnes individuelles, explique Hal Gillmore, qui la dirige. Aujourd’hui, on trouve des villes en transition partout dans le monde : toute l’Europe, Afrique du Sud, Inde, Chine, Chili, Philippines, Australie, Nouvelle-Zélande… En France, il existerait 80 initiatives, selon le Transition network, coordonné par Ben Brangwyn. Le mouvement de transition est épidémique, viral. Les gens se l'approprient facilement. Jetons-nous à l'eau.

A voir :
-> le site de Transition Town Totnes qui fourmille d’idées et de projets.
-> le site du Transition Network, pour voir où il y a d'autres initiatives de transition dans le monde et échanger.
-> le site de la transition en France, pour voir s'il existe une initiative de transition dans votre ville, votre quartier et sinon... la lancer!


 

Sociétal

Commentaires

merci pour ce partage, ce que je vais faire également de mon côté. Les petits rus font les rivières, puis les fleuves et les océans.

Ajouter un commentaire