dossiers et débats

Retour sur Sainte Soline

Alors que cette mobilisation fait la Une de l’actualité, nous étions sur place le jour J pour compléter notre dossier sur les méga-bassines.


Suite à notre dossier sur les méga-bassines et à l’interview de Benoît Biteau, Julien Lucy, salarié de l’association, s’est rendu à la manifestation de Sainte-Soline le 25 mars 2023. Il revient sur la journée.

 

 En bref     
  • 650 000 mètres cubes, ce qui correspond à 260 piscines olympiques. Ces bassines hors-normes sont censées servir à l'irrigation des terres agricoles environnantes durant l'été et en période de sécheresse. Pour le remplissage, ces bassines bénéficient en partie de la récupération de l'eau de pluie, mais elles comptent surtout sur le pompage des nappes phréatiques en hiver.
  • Un modèle agro-industriel à l’horizon de ces projets en contradiction avec la crise climatique et environnementale
  • Ces bassines ont un coût exorbitant de plusieurs dizaines de millions d’euros. Financées à 60 % par l’Etat et les régions, les bénéfices vont uniquement aux intérêts privés d’une petite minorité d’agriculteurs : seulement 4 à 7 % en fonction des bassins
  • Voir notre dossier

    
Les récits de cette journée ont été largement relayés par les médias.
Plusieurs vidéos et témoignages expliquent parfaitement le déroulement des faits tels que nous les avons vécus sur place :


Départ du camp

Nous avons commencé la manifestation joyeuse et festive au départ du camp des manifestants, situé à plusieurs kilomètres de la bassine. Y participaient diverses personnes de tous âges, dont des enfants, grâce à une organisation bien rodée.
Dès le départ, nous avons pu interroger un des manifestants sur les raisons de sa présence : « Nous voulons défendre aujourd’hui le vivant. Ces trous profitent à une minorité et coûtent chers, alors qu’ils soutiennent une agriculture intensive, incompatible avec le réchauffement climatique » nous a-t-il confié tout en marchant.

 

Déambulation champêtre de plusieurs kilomètres

Trois cortèges se sont élancé du camp pour rejoindre le lieu où se situe la bassine. Nous avons participé au cortège de l’Outarde jaune. Nous avons été frappés par le nombre de personnes qui participent à cette déambulation sur les petites routes des Deux Sèvres. Le passage dans les villages à proximité s’est fait dans une ambiance festive, et les habitant.es sortis pour l’occasion affichaient leur soutien. Une habitante de Saint Soline a répondu à nos questions : « Cette mobilisation divise dans le village, car il y a beaucoup d’agriculteurs ou de proches d’agriculteurs directement concernés, mais nous sommes nombreux à féliciter tous ces jeunes qui se mobilisent contre ces projets dont nous n’avons pas besoin ».

Nous avons demandé également à un couple de 71 et 72 ans pourquoi ils participaient au cortège, malgré l’interdiction de la Préfecture et voici ce qu’ils nous ont confié : « Il ne nous reste plus que ça pour nous faire entendre. Nous ne sommes pas écoutés. C’était évident pour nous de participer à cette belle mobilisation, sinon on fait quoi ? On abandonne alors que ces projets sont injustes, couteux et incohérents ? ».

 

De l’approche de la bassine au champ de bataille

A l’approche de la bassine, nous avons pu découvrir le dispositif impressionnant mobilisé pour l’occasion tout autour de la bassine. Ce sont près de 3 200 policiers et gendarmes répartis autour du chantier, avec des camions cerclant le périmètre dans sa totalité. Pour mémoire, cette méga-bassine représente l’équivalent de 250 piscines olympiques, donc imaginez la distance pour en faire le tour !

L’objectif du cortège était de créer une chaine humaine autour de la bassine. Etant donné le nombre important des manifestants, le pari était réalisable pour permettre de montrer la forte mobilisation.

A peine arrivés près du dispositif, une violente répression s’est abattue sur les participants. Bien qu’en retrait, nous recevons une bombe de désencerclement à moins de dix mètres, laissant un cratère dans le sol. Nous aurions donc pu faire partie de la longue liste des 200 blessés ou des 40 blessés graves… à dix mètres près. Ce jour-là, plus de 4 000 grenades de tout type ont été utilisées en moins de deux heures. Tout s’est transformé rapidement en un champ de bataille autour de nous. Les désormais célèbres gendarmes mobiles en quad de la Préfecture ont semé la panique et nous avons aidé plusieurs personnes à se relever ou à reprendre leur souffle. Une personne de 50 ans, habitant la région, nous a confié : « Nous venons de passer un cap dans la répression, jusqu’où iront-ils ? J’ai à la fois peur et envie de partir, et en même temps, je ne peux pas me détacher de ce spectacle affligeant. »

Nous nous sommes dirigés vers un petit chemin en retrait, lieu choisi par les manifestants pour improviser une infirmerie. Stupéfaits, nous constatons le travail incroyable des « street medic » volontaires qui ont soigné, en bordure de chemin, une quarantaine de blessés ensanglantés pour la plupart.

Nous avons rencontré l’euro-député Benoit Biteau au bout du chemin. Il nous confie être choqué de la situation, avoir été gazé et avoir reçu une grenade assourdissante, alors qu’il faisait une chaine de protection avec les autres élus pour protéger l’infirmerie. Nous arrivons alors que la négociation avec le SAMU est toujours en cours. On nous a expliqué que le SAMU a longtemps dit ne pas avoir l’autorisation de pouvoir venir. Vous pouvez retrouver les éléments de cette polémique ici

 

 

Retour au camp

Après être retournés au camp, nous avons été bloqués un long moment car les blessés sur place devaient être évacués par l’ambulance des manifestant, tirée par un tracteur de la confédération paysanne, au milieu des terrains boueux.

Si l’expérience en elle-même était marquante et vient s’ajouter aux centaines de témoignages déjà publiés, nous pouvons souligner plusieurs éléments :

  • Le coût de cette bassine est estimé à 4,7 millions d’euros, et le coût de cette mobilisation des forces de l’ordre à plus de 5 millions d’euros !
  • La détermination des manifestant.es rencontré.es est intacte, mais le sentiment d’une violence d’Etat sans limite domine et laisse des blessures psychologiques très fortes.
  • Les moyens traditionnels (recours, pétitions…) ne semblent pas être entendus, alors que les rapports scientifiques et extérieurs sont désormais nombreux et vont contre ces méga-projets
  • La situation est dans l’impasse, alors que la mobilisation citoyenne grandit.
Agriculture
Environnement

Ajouter un commentaire